Mémoire d'Unifor présenté au gouvernement du Canada dans le cadre de sa consultation sur les réponses stratégiques possibles aux pratiques commerciales déloyales de la Chine concernant les véhicules électriques

Pour une industrie automobile canadienne dynamique et durable

Mémoire présenté au gouvernement du Canada dans le cadre de sa consultation sur les réponses stratégiques possibles aux pratiques commerciales déloyales de la Chine concernant les véhicules électriques 

« Consultation sur les véhicules électriques »

Introduction

Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, représentant plus de 320 000 travailleuses et travailleurs dans tous les grands secteurs de l’économie. Unifor est également le syndicat des travailleuses et travailleurs de l’automobile du Canada, représentant plus de 40 000 membres qui travaillent dans des usines de montage de véhicules lourds et légers et de groupes motopropulseurs, dans la fabrication et la distribution de pièces de véhicules automobiles, ainsi qu’en ingénierie, dans des bureaux et comme agentes et agents de sécurité. Des milliers d’autres membres d’Unifor travaillent pour des concessionnaires de véhicules automobiles et des entreprises d’entretien de véhicules dans tout le pays. Unifor a été créé en 2013 par la fusion du syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) et du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP).

Unifor accueille favorablement cette consultation du gouvernement sur les réponses stratégiques possibles aux pratiques commerciales déloyales de la Chine. D’après les prévisions, la Chine devrait augmenter sa capacité de production nationale et ses exportations de véhicules électriques (VE) au cours des prochaines années. Les entreprises chinoises devraient accroître leur production et leurs ventes dans le monde entier, dans le cadre d’une stratégie de croissance intentionnelle soutenue par le gouvernement. Les analystes croient que les entreprises chinoises vendront leurs VE en Amérique du Nord, mais ils ne savent pas quand .

Dans notre mémoire, nous exhortons le gouvernement du Canada à utiliser ses pouvoirs liés à l’élaboration de politiques commerciales et à favoriser la croissance du secteur de l’automobile et de la chaîne d’approvisionnement au pays, conformément aux principes d’une stratégie de développement économique durable, décentralisée et de haut niveau. Les recommandations présentées dans ces pages ont pour but de corriger les déséquilibres inhérents aux relations commerciales entre le Canada et la Chine, d’aider à réaliser les ambitions du Canada en matière de développement industriel, de créer de bons emplois syndiqués et de tirer parti de tous les avantages économiques découlant d’un secteur de l’automobile prospère. Notre mémoire n’a pas pour but de déjouer la stratégie de développement national de la Chine.

Toutefois, nous reconnaissons et réagissons dans ce mémoire aux pratiques qui, de l’avis d’Unifor, violent les principes du commerce loyal et des droits de la personne. Les avantages commerciaux concurrentiels obtenus en Chine grâce à des pratiques critiquables et (dans certains cas) illicites ne peuvent être passés sous silence ni tolérés. Il faut trouver un juste équilibre entre la reconnaissance et le respect du droit d’une nation à l’autodétermination et à l’autonomie économique, tout en fixant une limite aux actions qui visent à éroder ces mêmes droits des autres nations et, surtout, à priver les travailleuses et travailleurs de leurs droits fondamentaux.  
Résumé des recommandations

Unifor recommande au gouvernement fédéral de faire ce qui suit.

  • Imposer une surtaxe fédérale (100 % au-dessus du taux de la nation la plus favorisée (taux NPF)) sur tous les véhicules de tourisme et commerciaux à énergie nouvelle (p. ex. les VE à batterie, les véhicules hybrides rechargeables, les VE à pile à combustible et les véhicules hybrides séries) importés de Chine et énumérés dans le document préparatoire à la consultation du 2 juillet, ainsi qu’une surtaxe sur les cellules de batteries au lithium-ion et les composants de batterie connexes, en vertu de l’article 53 de la loi Tarif des douanes.
  • Étendre la surtaxe de l’article 53 de façon à ce qu’elle corresponde aux taux tarifaires imposés par les États-Unis sur les produits de batterie équivalents pour véhicules à énergie nouvelle (25 % au-dessus du taux NPF), y compris les produits classés sous les codes du Système harmonisé (SH) 8507.90.40, 8507.60.0010 et 8507.60.0020, ainsi que pour divers minéraux critiques (25 % au-dessus du taux NPF), dont le graphite, et d’autres minéraux énumérés dans la proposition de modification des tarifs douaniers de l’article 301 publiée par les États-Unis en mai 2024.
  • Étendre la surtaxe prévue à l’article 53 aux composants stratégiques des VE et des batteries (25 % au-dessus du taux NPF) importants pour le Canada, notamment les moteurs électriques et les composants des mécanismes d’entraînement (incluant les aimants, les capteurs et les actionneurs), ainsi que les composants clés des cellules de batterie, notamment les matériaux actifs de cathode, les anodes, les séparateurs et les électrolytes.
  • Prescrire que la surtaxe soit en vigueur pour au moins un an et réévaluée au plus tard le 1er août 2025.
  • Mettre sur pied un comité de surveillance et d’analyse composé d’experts de l’industrie, qui aura pour mandat d’évaluer les répercussions de la myriade de mesures prises par le Canada et d’autres pays sur les flux des échanges commerciaux, les transbordements, les augmentations subites des importations et les prix du marché des véhicules à énergie nouvelle en provenance de la Chine et des constructeurs automobiles chinois.
  • Exiger que les constructeurs automobiles qui reçoivent un financement public, que ce soit par le biais de programmes spéciaux, d’instruments financiers ou de crédits d’impôt, investissent dans des programmes de véhicules électrifiés, dans des programmes comprenant des variantes électrifiées de moteurs à combustion interne (MCI) ou dans une architecture de programme multi-énergies.  
  • Mettre en œuvre des politiques qui favoriseront l’augmentation de la production nationale de véhicules, en tirant parti des achats de véhicules financés par le gouvernement, notamment en imposant, dans la mesure du possible, des exigences en matière de contenu local et de montage final aux grands projets d’acquisition de véhicules pour le parc de véhicules public et les transports en commun.
  • Annuler sa décision d’éliminer progressivement les programmes Incitatifs pour les véhicules zéro émission (iVZE) et Incitatifs pour l’achat de véhicules zéro émission moyens et lourds (iVZEML).
  • Prolonger la durée de ces programmes jusqu’au 31 mars 2030 et au 31 mars 2031, respectivement. Ou, dans le cas du programme iVZE, jusqu’à ce que les véhicules de tourisme légers zéro émission représentent 50 % des immatriculations de voitures neuves.
  • Augmenter d’un montant supplémentaire de 5 000 $ le remboursement maximal du programme iVZE, à condition que les véhicules achetés répondent aux exigences de contenu nord-américain de l’ACEUM.
  • Exclure des programmes iVZE et iVZEML tout véhicule assujetti à une surtaxe en vertu de l’article 53 de la loi Tarif des douanes.
  • Utiliser les outils prévus par la Loi sur Investissement Canada pour continuer de surveiller les investissements directs étrangers dans la chaîne d’approvisionnement canadienne des véhicules automobiles et des VE.
  • Mettre à jour les lignes directrices fédérales sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements – Annexe A, Domaines technologiques sensibles – afin d’inclure explicitement les systèmes de véhicules connectés et automatisés.
  • Suivre les résultats de l’enquête américaine sur la chaîne d’approvisionnement des services et des technologies de l’information et des communications.
  • Émettre une directive à l’intention de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) concernant les preuves requises pour appliquer les interdictions sur les marchandises produites par du travail forcé, en vertu de la loi Tarif des douanes. Cette directive doit permettre à l’ASFC de confronter les marchandises soupçonnées d’avoir été produites par du travail forcé, de délivrer des ordonnances empêchant la mainlevée de ces marchandises et d’obliger les importateurs et les fournisseurs à prouver qu’ils respectent les lois canadiennes.
  • Accroître les ressources de l’ASFC afin d’offrir aux agents les formations, les outils et le personnel auxiliaire nécessaires pour mettre en œuvre les initiatives du Canada visant à interdire l’entrée au pays de marchandises produites par du travail forcé et assurer une coordination efficace avec les États-Unis et le Mexique.  

Pour une industrie automobile canadienne dynamique et durable

Unifor se prononce en faveur d’une industrie canadienne de l’automobile dynamique et durable, soutenue par de bons emplois syndiqués. Il est nécessaire de réduire l’empreinte carbone des transports au Canada, puisque le pays s’efforce de respecter ses engagements de l’Accord de Paris sur le climat et d’atteindre ses objectifs de carboneutralité d’ici 2050. Cela dit, la transition vers une économie carboneutre doit aller de pair avec la croissance économique, la sécurité d’emploi et la prospérité des travailleuses et travailleurs – des objectifs plus faciles à atteindre au moyen de stratégies industrielles globales et ambitieuses.

Dans le cadre de ses négociations contractuelles avec les trois constructeurs de véhicules automobiles de Detroit, Unifor a obtenu ces dernières années des investissements transformationnels dans les usines d’automobiles canadiennes, notamment des milliards de dollars dans de nouveaux programmes de véhicules électriques. Soutenus par des fonds provenant du gouvernement fédéral et de provinces, ces investissements dans des programmes ont un effet catalyseur sur le réaménagement de la chaîne d’approvisionnement canadienne des véhicules automobiles, depuis les minéraux jusqu’aux véhicules finis, en passant par les matériaux pour batteries. Encouragés par le projet d’électrification, ces nouveaux investissements font suite à des décennies de désinvestissements dans les usines et de délocalisation du travail, provoquant des fermetures d’usines et la perte de dizaines de milliers d’emplois.  

En moins de quatre ans, le Canada a obtenu près de 50 milliards de dollars d’investissements majeurs dans la chaîne d’approvisionnement de l’automobile et des batteries de VE, notamment neuf grandes usines innovantes au Canada (voir l’annexe 1), les premières depuis 2005. Selon de récentes déclarations publiques, ces neuf usines devraient créer au moins 12 000 nouveaux emplois directs au Canada. Après plusieurs années consécutives de baisses dans la production, les prévisionnistes s’attendent à ce que la production canadienne annuelle de véhicules de tourisme augmente de 37 % dans les années à venir, pour atteindre environ 1,8 million d’unités d’ici 2031 . Ces chiffres mettent en évidence le succès du Canada à obtenir une part croissante des investissements dans les nouveaux programmes de véhicules en Amérique du Nord, dont la plupart sont étroitement liés à l’électrification (voir l’annexe 2). Le montant total des investissements ne tient pas compte des importants investissements indirects connexes entre les différents fournisseurs de composants; il ne prend pas non plus en considération la totalité des retombées économiques des investissements en amont de la chaîne d’approvisionnement ni des effets économiques induits par des emplois syndiqués offrant des salaires supérieurs à la moyenne, des avantages sociaux en matière de santé et une productivité élevée.

Le potentiel de croissance du secteur de l’automobile et le leadership du Canada dans le domaine des VE sont palpables, mais il y a des difficultés à l’horizon. L’incubation d’un marché pour la production et l’adoption massive de véhicules électrifiés ou d’autres véhicules à zéro émission nécessite une approche multidimensionnelle et collaborative entre le gouvernement et les parties prenantes. Elle nécessite des investissements stratégiques dans les infrastructures de l’énergie et de transport, des incitatifs pour les consommateurs, des soutiens du revenu et à la formation, ainsi que l’exploitation des possibilités de croissance de la chaîne d’approvisionnement. Il faut également des mesures proactives et protectrices pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales qui menacent de compromettre les progrès du Canada. Les constructeurs de véhicules automobiles exploitent depuis des décennies des chaînes d’approvisionnement internationales mal supervisées, en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde, pour réduire les coûts de production et de main-d’œuvre et augmenter les bénéfices. 
Ces dernières années, le Canada a pris des mesures pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales. La renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), par exemple, a donné lieu à de nouvelles dispositions commerciales en vue d’accroître le contenu nord-américain dans les véhicules, y compris les composants fabriqués dans des usines offrant des emplois bien rémunérés. Le nouvel accord commercial comprend également un mécanisme de réaction rapide dans le domaine du travail applicable à des installations particulières, afin de protéger les droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs et de mettre en œuvre les réformes du travail promises par le Mexique. L’incapacité du Mexique à faire respecter les droits de ses travailleuses et travailleurs depuis le début de l’ALÉNA, en 1994, alors que les constructeurs automobiles avaient accès au marché en franchise de droits, a créé de graves déséquilibres commerciaux qui ont nui aux travailleuses et travailleurs mexicains et placé la main-d’œuvre canadienne dans une position concurrentielle nettement défavorable. Bien que persistent les préoccupations liées à la main-d’œuvre mexicaine, les efforts visant à éliminer les distorsions commerciales ont aidé à renforcer les priorités du Canada concernant son secteur de l’automobile et les pratiques commerciales loyales en Amérique du Nord. En 2020, le Canada a adopté une loi interdisant l’importation de marchandises produites par du travail forcé; en 2024, il a mis en place un programme de déclaration afin de dresser la liste des mesures prises par les entreprises pour éliminer des chaînes d’approvisionnement le travail forcé et le travail forcé des enfants. En 2023, le Canada a défini une « démarche fondée sur la réciprocité » afin d’orienter les futures politiques influencées par les échanges commerciaux, p. ex. les politiques d’approvisionnement, afin de rétablir des conditions de concurrence équitables avec ses partenaires commerciaux en imposant des mesures comparables en matière d’accès au marché et de traitement réciproque pour les marchandises et les services .  

Aujourd’hui, la Chine représente la menace la plus immédiate à la réalisation des ambitions nationales du Canada relativement au développement d’une chaîne d’approvisionnement locale pour les véhicules zéro émission et au réaménagement de son secteur de l’automobile. Le but avoué de la Chine de devenir une superpuissance mondiale de l’automobile (soutenue par ses constructeurs automobiles nationaux) se heurte à la propre stratégie de développement industriel du Canada, à ses engagements en matière de pratiques commerciales loyales et inclusives et aux normes de travail élevées requises dans la chaîne d’approvisionnement de l’automobile. 

L’ascension rapide des constructeurs automobiles chinois et leur avantage indu

Des rapports récents mentionnent que les constructeurs automobiles chinois ont rapidement réussi à détrôner le Japon comme premier exportateur mondial d’automobiles . Après avoir commencé comme fournisseur de piles pour téléphones intelligents, BYD est devenu, en 20 ans, le premier producteur mondial de batteries pour véhicules électriques. BYD est l’un des nombreux constructeurs automobiles de plus en plus sophistiqués établis en Chine qui ont profité de la politique industrielle dirigée par l’État, connue sous le nom de « Fabriqué en Chine 2025 » , qui avait pour but l’autosuffisance dans 10 secteurs industriels nationaux, notamment les véhicules à énergie nouvelle et le matériel de production d’énergie (p. ex. panneaux solaires et batteries au lithium-ion).

La taille immense de l’économie chinoise (qui permet aux entreprises de profiter d’économies d’échelle), allant de pair avec des objectifs de production ambitieux et dirigés par l’État, aura des conséquences sur l’offre mondiale de VE, malgré l’objectif d’autosuffisance déclaré par la Chine. Le plan Fabriqué en Chine 2025, par exemple, oblige les producteurs chinois locaux à fournir 70 % de tous les composants et matériaux de base du pays pour les batteries au lithium-ion, les panneaux solaires et les véhicules électriques. Non seulement la Chine a-t-elle dépassé cet objectif, mais elle produit actuellement 80 % de l’offre mondiale de panneaux photovoltaïques, selon l’Agence internationale de l’énergie, ce qui est le double de la demande intérieure chinoise, et elle devrait atteindre 95 % d’ici quelques années . L’offre excédentaire et la position dominante de la Chine sur le marché en ce qui concerne les batteries à lithium-ion ont contribué à un effondrement mondial des prix des batteries, ce qui menace la viabilité des entreprises internationales, alors que les autorités chinoises incitent les fabricants à interrompre toute nouvelle production en usine .  

La domination du marché des produits ciblés par le plan Fabriqué en Chine 2025, comme les panneaux solaires et les batteries au lithium-ion, met en évidence la situation de « surcapacité structurelle » de la Chine. La politique intérieure de la Chine a tendance à donner trop d’importance aux mesures de soutien économique du côté de l’offre, au lieu de mettre l’accent sur les mesures incitatives du côté de la demande. Cette approche est en partie responsable de l’offre excédentaire de la Chine pour les produits de l’acier et de l’aluminium, ces dernières années . Les travailleuses et travailleurs canadiens de l’automobile craignent que ce qui est en grande partie une stratégie de production incontrôlée et mal gérée pour les VE n’aboutisse à des résultats comparables.

Par ailleurs, pour atteindre les objectifs de croissance et de production de son plan Fabriqué en Chine 2025, la Chine a déployé un éventail de ressources étatiques et de politiques économiques dont le Canada ne dispose pas (d’une manière comparable), et on peut supposer qu’elles ne respectent pas les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces politiques ont facilité le développement rapide des capacités industrielles pour produire des VE, ainsi qu’une stratégie continue de limitation des coûts par une pression à la baisse sur les salaires. Ces deux points devraient susciter d’importantes préoccupations liées au commerce pour le Canada . Par exemple :

  • Pendant de nombreuses années, la Chine a exigé des investisseurs étrangers, dont les constructeurs de véhicules automobiles, de transférer leur expertise technologique de pointe à ses entreprises d’État, en échange de l’accès à son marché. Ces arrangements enfreignent ouvertement les conditions d’adhésion de la Chine à l’OMC, mais elles persistent néanmoins sous différentes formes . Cela explique en partie le grand nombre de coentreprises à parts égales créées entre des entreprises nationales chinoises et des constructeurs automobiles étrangers, comme General Motors et Volkswagen (coentreprises avec la société d’État chinoise SAIC Motor) et la compagnie Ford Motor (coentreprise avec la société d’État chinoise Changan Auto). Les véhicules produits dans le cadre d’une coentreprise doivent toujours être vendus sous une marque locale, et non sous les marques existantes du constructeur automobile étranger.
  • La Chine n’est pas partie à l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC. C’est pourquoi les gouvernements chinois limitent l’accès des fournisseurs étrangers à ses marchés publics. La Chine peut utiliser les préférences en matière d’approvisionnement locale – sans s’y limiter – pour soutenir les objectifs de sa politique industrielle. Le Canada a considérablement réduit sa propre capacité à orienter les marchés publics de la même manière, puisqu’il est partie à l’AMP et à de nombreux accords commerciaux bilatéraux. Le Conseil d’État de la Chine a publié en 2015 des directives obligeant les organisations locales financées par le gouvernement à veiller à ce que leurs parcs de véhicules comprennent 30 % de véhicules à énergie nouvelle (y compris les autobus urbains) achetés auprès de fournisseurs chinois. Le non-respect de ces directives pourrait être puni d’une réduction des subventions d’exploitation de l’État .
  • Depuis 2009, le gouvernement chinois apporte un soutien financier important à son industrie nationale de véhicules à énergie nouvelle. Selon le Center for Strategic International Studies, plus de 230 milliards de dollars américains ont été distribués au secteur sous forme de remboursements, d’exemptions fiscales, de dépenses en infrastructures, de recherche et développement ainsi que d’acquisitions .  Il est difficile de saisir toute l’ampleur de l’aide financière accordée par le gouvernement, car on ignore à combien s’élèvent les divers programmes publics locaux et municipaux, ainsi que les mesures de soutien fournies aux producteurs le long d’autres nœuds de la chaîne d’approvisionnement des véhicules à énergie nouvelle (p. ex. traitements chimiques, fabrication de batteries, opérations minières, etc.).
  • Des rapports indiquent que les soutiens financiers fournis par la Chine aux constructeurs nationaux d’autobus électriques compensent pratiquement le coût total de production des autobus. De telles mesures de soutien ont facilité la production rapide de véhicules de transport en commun et l’élargissement des capacités manufacturières et contribué à la saturation du marché des véhicules automobiles .
  • Selon la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, le lancement du plan Fabriqué en Chine 2025 a en outre été à l’origine d’une « vague sans précédent » d’investissements chinois ciblés, qui a déferlé sur l’Europe et ailleurs dans le monde en 2015 et 2016 . Cela témoigne de l’évolution de la politique de la Chine en matière d’investissements vers l’étranger qui, selon le département d’État des États-Unis, a commencé par des investissements étrangers ciblés faits par les entreprises d’État chinoises, mais qui dorénavant sont faits aussi par des entreprises publiques et privées .   Aujourd’hui, les constructeurs de véhicules automobiles chinois, qu’ils soient privés ou soutenus par l’État, rendent publiques leurs intentions d’élargir leurs capacités de production de véhicules et de composants à travers le monde entier, y compris en Amérique du Nord. Selon la Coalition for a Prosperous America, 29 nouvelles usines appartenant à des intérêts chinois ont été mises sur pied au Mexique depuis 2022 .    

La stratégie Fabriqué en Chine 2025 est, d’après la plupart des indicateurs, une réussite totale pour la Chine, particulièrement en ce qui concerne son ambition d’accroître et de dominer la production de VE. Le rythme de croissance de sa production est stupéfiant. En 2019, la Chine a produit 1 million de véhicules de tourisme à nouvelle énergie (notamment des VE, des véhicules hybrides et des véhicules à pile à combustible). Aujourd’hui, cinq ans plus tard, sa production atteint 4,9 millions de véhicules. D’ici 2031, on prévoit que la Chine produira plus de 7 millions de voitures de tourisme à nouvelle énergie, soit une hausse de 600 % de la production. Dans l’ensemble des segments de véhicules, notamment les voitures, les camions et les autobus, la production de VE de la Chine devrait atteindre 17 millions de véhicules en 2031, soit 5,3 millions de plus que ce qui a été produit en 2023 (voir l’annexe 3). Et si « autosuffisance » est toujours le mot d’ordre de la Chine, il est peu plausible que la rapidité de plus en plus élevée de sa production de VE ne desserve que son marché intérieur, lequel tourne d’ailleurs au ralenti actuellement . La société BYD Auto, par exemple, a annoncé cette année qu’elle est en train accroître sa flotte interne de navires porte-conteneurs pour augmenter ses ventes de VE destinées à l’exportation . 

Autre avantage déloyal de la Chine : la faiblesse de ses normes du travail et environnementales

La Chine et les constructeurs automobiles établis en Chine posent un autre défi à l’industrie canadienne de l’automobile : le dumping social de marchandises dans le marché intérieur.  

L’un des avantages nettement concurrentiels de la Chine est son système de négociation collective et de relations de travail rigoureusement réglementé. En imposant un système syndical unique, la Chine refuse aux travailleuses et travailleurs le droit à la liberté d’association, ce qui constitue une violation de l’une des principales conventions de travail de l’Organisation internationale du Travail. En Chine, les travailleuses et travailleurs n’ont pas le droit d’être représentés par des structures de représentation syndicale autres que la Fédération chinoise des syndicats (FCS), une entité officiellement approuvée par l’État. En vertu du droit syndical et du droit des contrats de travail du pays, la création d’une organisation syndicale doit être autorisée par la FCS .  En 1982, la Chine a retiré le droit de grève de sa constitution, mais il y a de nombreux exemples de travailleuses et travailleurs qui organisent des piquets de grève et qui protestent pour obtenir des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail, et ce, en dehors des structures nationales officielles . Les violations des droits des travailleuses et travailleurs sont peu documentées en Chine, mais la Confédération syndicale internationale a compilé une série de documentaires troublants sur les poursuites pénales engagées par l’État contre des militantes et militants pour les droits syndicaux et les droits de la personne, sous forme notamment d’arrestations, de détentions et de violences physiques remontant jusqu’en 2009 .  

En Chine, une structure syndicale impuissante et contrôlée par l’État prive les travailleuses et travailleurs de leur droit de représentation et met à mal les principes de la démocratie industrielle. Les travailleuses et travailleurs se voient également refuser la capacité légale de présenter un pouvoir compensatoire, lequel est nécessaire pour la redistribution des revenus et des autres avantages dérivés de la croissance économique et de la productivité. En fait, la Fédération chinoise des syndicats, comme la plupart des institutions étatiques répressives, exerce une pression à la baisse sur les salaires, limitant indûment les avantages que devraient retirer les travailleuses et travailleurs des progrès économiques, et maintenant ainsi les coûts de production artificiellement bas. L’organisation China Labour Bulletin, dédiée à la défense des droits des travailleuses et travailleurs, observe les activités syndicales et l’évolution des droits de la personne en Chine. Elle critique vertement la complicité de la FCS dans les tactiques visant à empêcher les hausses de salaire, et par rapport à la stratégie industrielle de la Chine, axée sur des méthodes peu scrupuleuses :

L’incapacité de la FCS à défendre ses membres a eu pour conséquence que, après 40 ans de réformes économiques, la majorité des travailleuses et travailleurs de la Chine ne profitent pas encore du soi-disant « miracle économique » du pays, tandis qu’un petit groupe constitué de membres du Parti et de chefs d’entreprise est devenu tellement riche que c’est est indécent. Qui plus est, cette inégalité extrême dans la répartition des richesses s’est creusée davantage au cours des cinq dernières années, alors que l’économie jusqu’ici très dynamique de la Chine accuse un ralentissement et qu’un nombre toujours de plus en plus grand de travailleuses et travailleurs sont relégués à des emplois précaires peu rémunérés et offrant peu ou pas d’avantages sociaux. Même le premier ministre, Li Keqiang, a admis lors d’une conférence de presse tenue à la fin du Congrès national du peuple de 2020 que, d’après des statistiques officielles, 600 millions de personnes en Chine gagnaient encore un revenu moyen inférieur à 1 000 yuans. En 2022, la Chine a déclaré officiellement que le nombre de personnes bénéficiant de conditions d’emploi souples avait atteint 200 millions .

Au système de la Chine qui limite les négociations collectives et exerce des pressions à la baisse sur les salaires et à son déni des droits fondamentaux de liberté et d’association s’ajoutent d’horribles allégations de travail forcé, plus particulièrement dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. En 2022, le haut-commissaire des Nations Unies a accusé la Chine de commettre des crimes contre l’humanité envers les communautés musulmanes ouïghoures et turques dans cette région. La Chine a été accusée, entre autres, de détentions arbitraires, de tortures, de surveillance de masse, de persécutions culturelles et religieuses, ainsi que de recours au travail forcé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région, consistant en des transferts de travail forcé soutenus par le gouvernement.

Les allégations de travail forcé en Chine soulèvent d’importantes préoccupations au sein de l’industrie mondiale de l’automobile. Dans une étude qui a eu un effet retentissant à sa publication en février 2024, l’organisme international Human Rights Watch (HRW) explique les liens qui existent entre l’industrie de l’aluminium du Xinjiang et la chaîne d’approvisionnement chinoise de l’automobile . Xinjiang est l’une des plus importantes régions productrices d’aluminium dans le monde, produisant 9 % de l’offre mondiale totale. L’aluminium est un matériau important dans la production des composants automobiles (notamment les pièces coulées, les châssis et les composants de batteries de VE) fabriqués en Chine et dans le monde entier. Il y a donc un risque élevé que des marchandises produites par le travail forcé circulent par la chaîne d’approvisionnement automobile mondiale, et ce, non seulement dans les véhicules construits en Chine ou par des constructeurs automobiles chinois, mais par tous les constructeurs de véhicules automobiles, y compris ceux qui sont établis en Amérique du Nord.

Comme l’indique HRW, il est pratiquement impossible de retracer les origines de l’aluminium utilisé dans les marchandises fabriquées jusqu’à son état de matériau brut, et il est donc difficile de savoir si telle ou telle marchandise commercialisable a été produite par du travail forcé. C’est le cas pour une grande quantité de composants de véhicules électriques, entre autres, les films et les plateaux de batterie, les conducteurs, les châssis d’enceinte et les roues en alliage. Comme on s’attend à ce que la demande de l’industrie automobile pour l’aluminium double entre 2019 et 2050, le problème ira en s’accentuant si rien n’est fait pour remédier à la situation. En vertu des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, les constructeurs de véhicules automobiles ont la responsabilité de repérer et d’empêcher le recours au travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement. D’après le rapport de HRW, les constructeurs automobiles qui exercent leurs activités en Chine ne perçoivent pas l’urgence de la situation et manquent d’intérêt. Ils se disent non coupables en raison de leurs accords de coentreprises en Chine (p. ex. Volkswagen, General Motors) ou font simplement la sourde oreille aux demandes de commentaires de HRW (p. ex. BYD Aauto, Toyota).

Le recours fréquent au travail forcé pour la fabrication des produits automobiles entache l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement mondiale dans sa totalité. Le refus de s’attaquer à cet acte intolérable, dans le secteur de l’aluminium et possiblement ailleurs (les transferts de travail forcé sont loin d’être bien documentés), ne fait qu’avantager encore un peu plus la Chine, alors qu’elle continue à s’imposer comme fournisseur de véhicules et de produits automobiles à bas prix pour le monde entier. Le Canada doit choisir entre accepter les risques associés à l’inaction et devenir complice de ces crimes, ou prendre des mesures concrètes pour corriger la situation.

Les constructeurs de véhicules automobiles continuent de profiter d’intrants provenant de sources à émissions de carbone élevées et d’une énergie polluante et bon marché utilisée dans les procédés de production chinois. Une grande partie (environ 80 %) des émissions provenant des véhicules automobiles sont produites par la combustion de l’essence pendant que le véhicule est utilisé. À l’étape de la production des véhicules, la plus grande partie des émissions sont générées dans les segments en amont, notamment le traitement, la transformation et le transport des matières premières. Malgré des investissements historiques dans les infrastructures d’énergie propre, 90 % des émissions de la Chine proviennent du secteur de l’énergie, et 60 % de l’électricité est produite avec du charbon . En fait, le charbon joue un rôle démesuré en alimentant en électricité le secteur chinois de l’aluminium, lequel émet « 23 % plus d’équivalents en gaz carbonique que la moyenne mondiale » .

Bien que louables, les efforts du Canada pour réduire les émissions nationales de gaz à effet de serre, accélérer l’adoption de véhicules zéro émission et investir dans les technologies de l’avenir pour sa chaîne d’approvisionnement automobile reviennent à un prix exorbitant lorsque l’on tient compte du rôle de la Chine dans l’équation mondiale. En l’absence de contreparties, de rajustements aux frontières ou d’autres mesures visant à rééquilibrer la circulation transfrontalière illégitime (et illégale, dans certains cas) de produits automobiles bon marché et provenant de sources à émissions de carbone élevées, la stratégie industrielle du secteur canadien de l’automobile sera profondément compromise.

Réponses stratégiques possibles du Canada

Le gouvernement du Canada reconnaît un grand nombre des préoccupations mentionnées ci-dessus dans son document préparatoire à la consultation publié le 2 juillet 2024. Le document de consultation présente une série de réponses et d’actions stratégiques possibles prises en considération par les fonctionnaires fédéraux.

Voici la réponse d’Unifor à ces questions, suivie d’une deuxième série de réponses stratégiques que le syndicat souhaite soumettre à l’examen du gouvernement fédéral.

  1. Imposer une surtaxe en vertu de l’article 53 de la loi Tarif des douanes

Unifor recommande:

  • Une surtaxe fédérale (100 % au-dessus du taux sur tous les véhicules de tourisme et commerciaux à énergie nouvelle (p. ex. les VE à batterie (VEB), les véhicules hybrides rechargeables (VHR), les VE à pile à combustible (VEPC) et les véhicules hybrides séries (VHS)) importés de Chine et énumérés dans le document préparatoire à la consultation du 2 juillet, ainsi qu’une surtaxe sur les cellules de batteries au lithium-ion et sur les composants de batterie connexes, en vertu de l’article 53 de la loi Tarif des douanes. 
  • Le Canada doit étendre la surtaxe de l’article 53 de façon à ce qu’elle corresponde aux taux tarifaires imposés par les États-Unis sur les produits de batterie équivalents pour véhicules à énergie nouvelle (25 % au-dessus du taux NPF), y compris les produits classés sous les codes SH 8507.90.40, 8507.60.0010 et 8507.60.0020, ainsi que pour divers minéraux critiques (25 % au-dessus du taux NPF), dont le graphite, et d’autres minéraux énumérés dans la proposition de modification des tarifs douaniers de l’article 301 publiée par les États-Unis en mai 2024. 
  • Étendre la surtaxe prévue à l’article 53 aux composants stratégiques des VE et des batteries (25 % au-dessus du taux NPF) importants pour le Canada, notamment les moteurs électriques et les composants des mécanismes d’entraînement (incluant les aimants, les capteurs et les actionneurs), ainsi que les composants clés des cellules de batterie, y compris les matériaux actifs de cathode, les anodes, les séparateurs et les électrolytes. 
  • La surtaxe doit être en vigueur pour au moins un an et réévaluée au plus tard le 1er août 2025.
  • Finances Canada doit mettre sur pied un comité de surveillance et d’analyse composé d’experts de l’industrie, qui aura pour mandat d’évaluer les répercussions de la myriade de mesures prises par le Canada et d’autres pays sur les flux des échanges commerciaux, les transbordements, les augmentations subites des importations et les prix du marché des véhicules à énergie nouvelle (VEN) en provenance de la Chine et de constructeurs automobiles chinois.
  • Que les constructeurs automobiles qui reçoivent un financement public, que ce soit par le biais de programmes spéciaux, d’instruments financiers ou de crédits d’impôt, investissent dans des programmes de véhicules électrifiés ou dans des programmes comprenant des variantes électrifiées de moteurs à combustion interne (MCI) ou une architecture de programme multi-énergies.  
  • Mettre en œuvre des politiques qui favoriseront la production nationale de véhicules, en tirant parti des achats de véhicules financés par le gouvernement, notamment en imposant, dans la mesure du possible, des exigences en matière de contenu local et de montage final aux grands projets d’acquisition de véhicules pour le parc de véhicules public et les transports en commun.

Raisons

Le recours à l’article 53 est entièrement justifié dans le cas présent. Les mesures prises par la Chine pour préparer et orienter vers les exportations le développement de son secteur de composants et de véhicules électriques auront une incidence négative sur les travailleuses et travailleurs canadiens. Par exemple, Unifor représente les travailleuses et travailleurs de 13 grandes usines canadiennes de montage d’automobiles, qui construisent des véhicules de tourisme légers, des groupes motopropulseurs, des camions utilitaires lourds et des autobus (voir l’annexe 4). Huit de ces usines produisent, ou prévoient produire, des véhicules électrifiés. Les VE construits au Canada varient selon les segments et les catégories, allant de petits véhicules utilitaires compacts abordables à des camions lourds électriques, en passant par des fourgonnettes commerciales. Le ralentissement de la demande nord-américaine pour des VE a entraîné des retards dans les programmes de production de plusieurs usines canadiennes, y compris des usines qui emploient des membres d’Unifor, créant de l’incertitude pour les travailleuses et travailleurs. Récemment, en réaction aux retards de production considérables à l’usine de montage de Ford à Oakville, le syndicat a négocié un plan d’atténuation visant à réduire le nombre de semaines d’arrêt de travail prévu, en retournant à d’anciens projets d’électrification .  Les travailleuses et travailleurs canadiens de l’automobile se réorientent vers la construction de nouveaux produits de véhicules électriques, notamment des véhicules finis, des batteries ou des composants. Le fait de permettre l’importation continue et illimitée de VE et de faciliter l’arrivée sur le marché de nouveaux VE peu coûteux pourrait retarder davantage les transitions vers les VE dans les usines canadiennes et même freiner complètement les transformations de VE prévues dans les usines canadiennes.

Tout comme la Chine a surveillé de près son industrie de VE contre les concurrents étrangers, dans le cadre d’une stratégie industrielle intentionnelle et massivement financée, le Canada peut – et doit –faire de même. Il est grand temps de saisir cette occasion de s’attaquer aux inégalités structurelles qui offrent des avantages commerciaux déloyaux aux constructeurs automobiles chinois. Les conséquences de l’inaction sont graves et menacent de compromettre le développement d’une chaîne d’approvisionnement automobile canadienne de pointe et tournée vers l’avenir, dans un marché nord-américain intégré fondé sur un commerce loyal, des normes élevées, des emplois de qualité et des intrants provenant d’énergies propres. Or la Chine n’offre rien de tout cela.

Les pays producteurs de véhicules automobiles ont déjà pris des mesures pour contrer cette menace et rétablir des conditions de concurrence équitables. Les États-Unis ont pris la décision d’envisager d’imposer sur les importations de véhicules chinois, des tarifs douaniers de l’article 301, spéciaux et progressifs jusqu’à 100 % (aboutissant à des tarifs de 103,5 % sur les véhicules électriques légers entrant aux États-Unis). Nous incluons dans notre mémoire les propositions des États-Unis visant à étendre les tarifs douaniers à d’autres produits de VE, notamment les composants de batteries au lithium-ion classés sous les codes SH 8507.90.40, 8507.60.0010 et 8507.60.0020. Le Brésil va imposer des tarifs douaniers de 35 % sur les VE chinois d’ici 2026  et la Commission européenne imposera des droits de subvention aux différents importateurs chinois (aboutissant à des tarifs entrants situés entre 27,4 % et 47,6 %). L’approche européenne en matière de recours commerciaux se distingue par son respect des règles de l’OMC concernant les protections des droits compensateurs et antidumping, mais elle se manifeste également dans un contexte économique différent, dans lequel les importateurs chinois accaparent déjà une part importante du marché de véhicules neufs (environ 20 % des ventes de voitures neuves) , et où les entreprises chinoises produisent déjà (ou ont annoncé leur intention de produire) dans toute l’Europe .

L’imposition d’une surtaxe en vertu de l’article 53 sur les VE et les intrants clés provenant de la Chine met en évidence l’état actuel de la transition de l’industrie automobile du Canada et a pour but d’éviter des préjudices économiques aux travailleuses et travailleurs canadiens. Unifor considère les mesures prises par les États-Unis et la Commission européenne comme des moyens de compenser, d’une part, les avantages commerciaux déloyaux dont jouissent les entreprises lorsqu’elles produisent et importent des marchandises de la Chine et, d’autre part, les effets dommageables de ces importations sur les emplois. Ces efforts ont pour objectifs de restreindre (au moins temporairement) la concurrence déloyale, de faciliter la modernisation nécessaire des infrastructures des usines canadiennes et nord-américaines, le perfectionnement des compétences professionnelles, la mise à niveau des programmes de production et l’amélioration des ententes conclues avec les fournisseurs, dans une chaîne d’approvisionnement dotée des technologies de pointe et évoluant rapidement. Pour accélérer le développement de la chaîne d’approvisionnement des VE au Canada, le gouvernement fédéral doit mettre en œuvre des politiques qui favoriseront l’augmentation de la production nationale, notamment en imposant des exigences en matière de contenu local et de montage final aux grands projets d’acquisition de parcs de véhicules publics et de véhicules de transport en commun.  

  1. Reconfigurer l’admissibilité au programme incitatif des véhicules zéro émission

Unifor recommande:

  • Que le gourvernement annule sa décision d’éliminer progressivement les programmes Incitatifs pour les véhicules zéro émission (iVZE) et Incitatifs pour l’achat de véhicules zéro émission moyens et lourds (iVZEML). 
  • Prolonger la durée de ces programmes jusqu’au 31 mars 2030 et au 31 mars 2031, respectivement. Ou, dans le cas du programme iVZE, jusqu’à ce que les véhicules de tourisme légers zéro émission représentent 50 % des immatriculations de voitures neuves.
  • Augmenter d’un montant supplémentaire de 5 000 $ le remboursement maximal du programme iVZE, à condition que les véhicules achetés répondent aux exigences de contenu nord-américain de l’ACEUM. 
  • Exclure des programmes iZEV et iVZEML tout véhicule assujetti à une surtaxe en vertu de l’article 53 de la loi Tarif des douanes.

Raisons

Le prix élevé des VZE demeure un obstacle majeur à leur adoption par les consommateurs, ainsi que les préoccupations relatives aux infrastructures de recharge. Le programme iVZE offre un incitatif nécessaire pour stimuler les ventes de VZE neufs et accroître le parc de VZE du Canada. Le programme est, à bien des égards, un succès. Selon Statistique Canada, les VE (y compris les véhicules électriques à batterie, hybrides et hybrides rechargeables) représentaient 18,7 % des immatriculations de véhicules neufs au Canada en 2023, une augmentation importante par rapport à 2017, alors qu’elles correspondaient à 2,1 % . Cependant, la croissance des ventes de VZE a ralenti en Amérique du Nord au cours des 12 derniers mois . Certains expliquent ce ralentissement par l’épuisement du marché des premiers adopteurs de VE. L’adoption généralisée du marché des VE nécessitera une grande autonomie de batterie et des options de véhicules plus nombreuses, plus diversifiées et plus accessibles. Affirmer que les importations peu coûteuses en provenance de la Chine peuvent être une solution pour répondre à la prochaine phase de pénétration du marché des VE n’est tout simplement pas satisfaisant. Les conséquences de cette approche, comme nous l’avons déjà mentionné, sont en effet trop lourdes pour les travailleuses et travailleurs de l’automobile. Ignorer délibérément les coûts sociaux de cette approche va à l’encontre des principes du commerce équitable et des droits de la personne.

La prolongation des programmes iVZE et iVZEML contribuera à résoudre la question de l’accessibilité financière, d’autant plus que les fournisseurs nord-américains mettront sur le marché, au cours des prochaines années, de nouvelles options de VE plus abordables. Doubler, pour une période limitée, l’aide financière accordée pour encourager l’achat de véhicules construits au Canada et en Amérique du Nord cadre bien avec la stratégie industrielle du Canada et les engagements actuels de l’ACEUM en matière de contenu. L’abandon progressif des programmes incitatifs, une fois que les ventes de VE auront atteint un seuil critique (p. ex. 50 %), sera de mise, car ce seuil indiquera que le marché de consommation est bien établie et qu’un parc diversifié de VE est disponible pour les consommateurs canadiens de véhicules d’occasion. Exclure les véhicules actuellement assujettis aux surtaxes de l’article 53 des incitatifs à l’achat financés par l’État augmente la cohérence dans l’ensemble de la politique.

  1. Suivre l’évolution des questions concernant les investissements, la cybersécurité et la sécurité des données

Unifor recommande:

  • Que le gouvernement fédéral et le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique emploient les outils prévus par la Loi sur Investissement Canada afin de continuer de surveiller les investissements directs étrangers dans la chaîne d’approvisionnement canadienne des véhicules automobiles et des VE. 
  • Que le gouvernement mette à jour ses lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements – Annexe A, Domaines technologiques sensibles – afin d’inclure explicitement les systèmes de véhicules connectés et automatisés. 
  • Que le gouvernement suive les résultats de l’examen de la chaîne d’approvisionnement américaine des services et des technologies de l’information et des communications.

Raisons

Axée sur les exportations, la stratégie de développement de l’industrie automobile de la Chine, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, comprend des investissements directs étrangers et l’augmentation de la capacité de production en dehors du marché intérieur. Cela est particulièrement important pour les composants sensibles, comme les technologies des systèmes de véhicules connectés et automatisés, qui posent des risques pour la sécurité nationale.

L’imposition de faibles tarifs NPF entrants applicables aux véhicules automobiles et aux pièces, particulièrement aux États-Unis pour les véhicules de tourisme légers, s’avère peu dissuasive pour les constructeurs d’automobiles qui choisissent de ne pas tenir compte des règles de l’ACEUM relatives au contenu nord-américain. Comme le Mexique, le Canada peut s’avérer une destination commode pour les entreprises étrangères qui cherchent à éviter les tarifs douaniers, tout en profitant de la faiblesse des règles relatives au traitement tarifaire préférentiel. Le Canada doit donc rester vigilant et continuer de suivre les investissements étrangers et de mesurer les bénéfices nets pour l’économie canadienne et la préservation de la sécurité nationale.

Le gouvernement fédéral pourrait envisager d’élargir la liste des domaines technologiques sensibles en vertu de ses Lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements, afin d’inclure explicitement une référence aux systèmes de véhicules connectés et automatisés. Ces véhicules sont équipés d’un composant critique et vulnérable, activé par logiciel, qui crée de nouveaux risques pour la protection des renseignements personnels et des données, en plus de représenter une menace pour la sécurité publique et la protection des infrastructures canadiennes. On craint que les systèmes de véhicules connectés établissent des liens avec les réseaux de recharge des VE et de gestion de la circulation urbaine ainsi qu’avec les dispositifs de conduite autonome, et que cela augmente les risques d’espionnage et de sabotage .  D’après les médias, les implications des véhicules connectés sur la sécurité nationale ont incité la Chine elle-même à imposer des restrictions sur les véhicules étrangers en interdisant aux voitures Tesla l’accès à certains sites gouvernementaux et militaires .

Comme le mentionne le document de consultation, il est impératif que le Canada suive les résultats d’une enquête de sécurité menée actuellement par le département du Commerce des États-Unis sur les systèmes de technologies de l’information et des communications intégrés aux véhicules connectés, notamment des interdictions possibles sur l’importation et l’utilisation de systèmes appartenant à des entités étrangères, contrôlés par elles et relevant de leur compétence.

  1. Mettre en œuvre d’autres mesures pour interdire l’importation de marchandises illicites au Canada

Unifor recommande:

  • Le gouvernement doit émettre une directive à l’intention de l’Agence des services frontaliers du Canada et des responsables du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada, concernant les preuves requises pour appliquer les interdictions sur les marchandises produites par du travail forcé, en vertu de la loi Tarif des douanes. Cette directive doit permettre à l’ASFC de confronter les marchandises soupçonnées d’être produites par du travail forcé, de délivrer des ordonnances empêchant la mainlevée de ces marchandises et d’obliger les importateurs et les fournisseurs à prouver qu’ils respectent les lois canadiennes. 
  • Le gouvernement doit accroître les ressources de l’ASFC afin d’offrir aux agents les formations, les outils et le personnel auxiliaire nécessaires pour mettre en œuvre les initiatives du Canada visant à interdire l’entrée au pays de marchandises produites par du travail forcé et à assurer une coordination efficace avec les États-Unis et le Mexique.   

Raisons

Les échanges commerciaux du Canada avec la Chine sont grandement déséquilibrés pour la plupart des marchandises, mais surtout pour les véhicules et les pièces d’automobiles. Ces déséquilibres sont exacerbés par les disparités qui existent dans les conditions économiques et sociales de travail. La Chine est reconnue comme un pays à main-d’œuvre bon marché. Ses lois sur le travail répriment l’indépendance syndicale et la démocratie industrielle. Le droit fondamental à la liberté d’association et le droit de grève ne sont pas sanctionnés par la loi.  Les conditions ainsi créées exercent des pressions à la baisse sur les salaires, diminuant ainsi les coûts de production. En outre, la Chine est complice de certains des crimes internationaux les plus graves commis contre les travailleuses et travailleurs, notamment le travail forcé. Ces actes sont inexcusables, intolérables et contraires aux normes internationales que défend le Canada.

Le Canada dispose des outils nécessaires pour remédier à ces violations des plus monstrueuses. Des modifications apportées en 2020 à la loi Tarif des douanes ont permis au gouvernement d’interdire l’importation de marchandises produites en tout ou en partie par du travail forcé, notamment les produits de l’aluminium qui, ces dernières années, se sont vraisemblablement retrouvés dans les pièces d’automobiles et les voitures provenant de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, qui sont fabriquées et vendues au Canada. Toutefois, l’absence d’orientations et de ressources suffisantes pour faciliter la mise en œuvre et l’application efficaces de cette nouvelle loi rend l’interdiction inutile. Ces mesures ne devraient pas s’appliquer seulement aux marchandises illicites en provenance de la Chine, mais également aux marchandises illicites provenant d’autres régions du monde.  

L’interaction entre l’Agence des services frontaliers du Canada et le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada doit être définie plus clairement lorsqu’il s’agit d’évaluer et de contrôler les marchandises produites par du travail forcé. De plus, le gouvernement fédéral doit émettre une directive claire sur le critère de preuve que les fonctionnaires des douanes doivent suivre pour les marchandises soupçonnées d’être produites par du travail forcé. Il serait irréaliste, dans la plupart des cas, de s’attendre à ce que les fonctionnaires des douanes responsables de l’application de l’interdiction trouvent des preuves irréfutables d’un recours au travail forcé dans des marchandises. Par conséquent, il est important de veiller au respect de ces lois et, pour ce faire, le Canada devrait suivre l’approche adoptée par les autorités douanières américaines et autoriser nos fonctionnaires douaniers à délivrer (en suivant un critère de preuve raisonnable) des ordonnances de retenue de mainlevée , en vertu desquelles les marchandises soupçonnées d’avoir été produites par du travail forcé seront retenues à l’entrée, obligeant ainsi les importateurs ou les fournisseurs à confirmer et à prouver le contraire. Cette disposition relative au renversement du fardeau de la preuve est essentielle pour assurer une application plus stricte des lois canadiennes. Le gouvernement doit également augmenter les ressources allouées à l’ASFC et à EDSC afin d’accroître leurs capacités d’enquête et d’application des lois, notamment en offrant une formation spéciale. 

Conclusion

Unifor comprend que l’avenir de l’automobilité mondiale doit coïncider avec les efforts déployés pour atteindre la carboneutralité. C’est l’étoile polaire qui guide la stratégie industrielle du Canada pour son secteur de l’automobile, une stratégie ambitieuse, intentionnelle et globale. L’industrie de l’automobile, ainsi que les travailleuses et travailleurs de l’automobile, jouera un rôle vital dans la transformation vers une économie propre, une transformation qui n’est possible que grâce au leadership du gouvernement et à l’orientation donnée par les travailleuses et travailleurs. Pour tirer parti de tous les avantages d’une chaîne d’approvisionnement automobile florissante, il faut construire les véhicules, fabriquer les composants, transformer les matières premières, extraire et recycler les métaux et développer les technologies de pointe ici au Canada.

La Chine représente une menace directe pour les ambitions du Canada. Les outils stratégiques qu’elle a déployés pour favoriser la croissance de son marché intérieur créent une relation commerciale déséquilibrée. Toutefois, ce qui est plus grave encore, c’est que la Chine enfreint les droits fondamentaux de la personne et dans le domaine du travail, créant un avantage concurrentiel déloyal en matière de coûts et une stratégie industrielle malhonnête qui cause du tort aux travailleuses et travailleurs. Les faits passés et présents semblent indiquer que la tendance de la Chine vers une « surcapacité structurelle » et sa volonté de bâtir une industrie automobile superpuissante auront des conséquences négatives pour les travailleuses et travailleurs canadiens et l’industrie automobile nord-américaine, au cours de sa propre transition vers les VE. Le Canada doit employer les outils stratégiques disponibles pour rétablir des conditions de concurrence équitables et promouvoir sa stratégie industrielle automobile par le biais de politiques complémentaires en matière de commerce et de travail, en atteignant ses objectifs de croissance économique, de sécurité d’emploi et de prospérité pour les travailleuses et travailleurs, tout au long du chemin menant à la carboneutralité. 

– Annexe 1 –

Grandes usines de fabrication et de transformation innovantes annoncées depuis 2022 pour le Canada dans la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques

Entreprise            Produit LieuEmplois directs prévus
NextStar            
 
Cellules et modules de batterieWindsor, Ontario2 500
PowerCo       
 
Cellules de batterie St. Thomas, Ontario    3 000
Northvolt           
 
Cellules de batterie et matériau de cathodeMcMasterville, Québec 4 000
Honda           
 
Cellules de batterie Alliston, Ontario1 000
Ultium CAM       
 
Matériau de cathode Bécancour, Québec  200 
(Phase 1)
EcoPro  CAM        
 
Matériau de cathodeBécancour, Québec 345
Umicore        
 
Matériau de cathodeLoyalist Township, Ontario    1 000
Asahi Kasei         
 
SéparateursPort Colborne, Ontario    À déterminer
Honda CAM       Matériau de cathodeÀ déterminerÀ déterminer

– Annexe 2 –

Investissements de l’industrie automobile nord-américaine dans l’électrification, part du Canada

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– Annexe 2 –  Investissements de l’industrie automobile nord-américaine dans l’électrification, part du Canada

Source : Center for Automotive Research; Service de la recherche d’Unifor

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Investissements annoncés par les  constructeurs automobiles


Source: Center for Automotive Research.

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Part des investissements annoncés dans le secteur de l’automobile

Source : Center for Automotive Research; Service de la recherche d’Unifor

– Annexe 3 –

Prévisions de la production de véhicules en Chine (de 2023 à 2031)

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Prévisions de la production de véhicules en Chine (de 2023 à 2031)

Source: AutoForecast Solutions

– Annexe 4 –
Vue d’ensemble des programmes de production de VE dans les usines de montage et de groupes propulseurs représentées par Unifor (mise à jour en juillet 2024)
 

Usine          
    
 
Constructeur automobileÉtat actuel de la production Type d’architecture Produits VE confirmés (prévus)
Ingersoll Assembly            
 
GM/BrightDrop  En cours VE ZEVO 600
ZEVO 425
Usine de montage Oakville          
 
Compagnie Ford Motor Arrêt/réoutillageMoteurs à combustion interne (MCI) et VE    (Super Duty, électrique)
Usine de montage Windsor             
 
StellantisEn activité/réoutillageMCI et VE   Pacifica VHR
(Charger, VE)
Usine de montage, Brampton              StellantisArrêt/réoutillage MCI et VE (Jeep Compass VE)
Usine de propulsion, St.Catharines               GM En activité/réoutillage MCI et VE(Mécanismes d’entraînement électriques)
Usine de moteurs, Windsor        Compagnie Ford MotorEn coursMCI s.o.
Usine de moteurs, Essex  Compagnie Ford MotorEn cours       MCI s.o.
Usine de montage, Oshawa        
   
GMEn cours    MCI    s.o.
Usine de montage, WinnipegNew Flyer    En cours    
 
MCI, VE et hydrogène    Pile à combustible Xcelsior
Xcelsior hybride
Xcelsior VE
Usine de montage, Saint-Eustache, Saint-François-du-Lac        Volvo/Nova Bus    En cours    MCI, VE et hydrogèneAutobus hybride LFS
LFS Arctic hybride
LFSe
LFSe+
Usine de montage, Sainte-Claire    Volvo/Prevost    En cours    MCI    s.o.
Usine de montage, Sainte-Thérèse    Paccar    En cours    MCI    s.o.