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par Lana Payne
Publié initialement dans le Windsor Star le 25 novembre 2025
Ne laissez jamais la vérité être un obstacle à une bonne histoire.
Cette traduction libre d’une citation de Mark Twain, auteur reconnu pour son sens de l’humour, résume bien la tempête médiatique entourant l’usine de batteries Nextstar à Windsor.
Ce qui semblait à l’origine être un message inoffensif publié dans les médias sociaux par nul autre que le service de police de Windsor s’est transformé en un débat enflammé partout au pays.
Ce n’est pas tous les jours que les services de police font des annonces majeures relatives à des emplois dans le secteur industriel dans ce pays. Ce gazouillis suggérait de façon mystérieuse que 1 600 Sud-Coréennes et Sud-Coréens viendraient « travailler et vivre » au Canada en lien avec la lucrative usine de batteries de la coentreprise de Stellantis-LG.
Toutefois, comprenez-moi bien. Ce gazouillis publié par le service de police m’a aussi laissée perplexe.
Toute personne qui s’y connaît en matière de démarrage de grands projets industriels sait que plusieurs personnes et divers postes sont nécessaires pour concrétiser ces projets. Il n’est toutefois pas clair à quels emplois en particulier le service de police faisait allusion.
Cela n’a cependant pas empêché la machine à rumeur de s’emballer.
Plutôt que de chercher la vérité à propos de ces allégations, madame et monsieur Tout-le-monde partout au pays ont préféré se faire une opinion instantanée sur la question.
Les critiques des partis d’opposition fédéraux ont crié au meurtre et se sont montrés scandalisés que des travailleuses et travailleurs étrangers viennent voler des emplois promis aux Canadiennes et Canadiens. Le chef du gouvernement conservateur Pierre Poilievre s’est fait le porte-étendard de ce cirque médiatique en poussant l’audace jusqu’à exiger une enquête nationale sur la question.
Tout ce brouhaha uniquement pour un gazouillis sur des emplois et l’économie publié par un service de police.
D’abord, il n’est pas rare de voir de grandes entreprises canadiennes miser sur des professionnelles et professionnels étrangers pour gérer le lancement de nouveaux projets industriels.
Toute personne qui a passé ne serait-ce qu’une demi-seconde à étudier l’industrie automobile sait qu’il n’y a aucune usine de production de masse de cellules de batteries au Canada. C’est d’ailleurs pour cette raison que Stellantis a opté pour une coentreprise avec LG Energy, soit pour miser sur l’expertise technique de ce partenaire.
Cette même approche est celle privilégiée lors du lancement de nouveaux véhicules. En fait, des équipes de travailleuses et travailleurs américains ont été dépêchées temporairement au nord de la frontière pour démarrer les activités à l’usine de GM à Ingersoll et commencer la livraison de nouvelles camionnettes de livraison électriques. Cette usine a également reçu des investissements considérables de la part du gouvernement. Et personne n’a protesté.
Lorsque la nouvelle a été rendue publique, notre syndicat s’est engagé à faire enquête. Au terme de cette enquête, nous avons appris qu’il y aurait une équipe d’une centaine de travailleuses et travailleurs coréens qui viendrait temporairement au pays pour installer l’équipement et la machinerie. Nous sommes loin des 1 600 travailleuses et travailleurs mentionnés par le service de police.
De plus, il est faux de dire que ces personnes travailleront de façon permanente à l’usine. Ces emplois ne font pas non plus partie des 2 500 emplois directs promis.
Ironie du sort, nous avons découvert que le programme qui permet à NextStar est en mesure de transférer ces travailleuses et travailleurs coréens au Canada, et contre lequel les Conservateurs s’insurgent avec véhémence, n’existe qu’en vertu de l’accord de libre-échange Canada-Corée qui a été négocié et signé par le gouvernement conservateur en 2014.
Unifor était parmi la poignée de groupes qui s’opposaient haut et fort contre cet accord avec la Corée à l’époque en mettant le gouvernement en garde contre la possibilité que cet accord nuise encore davantage au secteur canadien de l’automobile déjà vulnérable. Il s’agissait d’un autre coup dur pour un secteur proche de l’extinction à la suite des nombreuses pertes d’emplois et fermetures.
Aujourd’hui, soit Pierre Poilievre et le parti conservateur ont eu une épiphanie politique au sujet des emplois dans le secteur de la fabrication, ou encore ils ont vraiment une terrible mémoire. Peu importe, ils tiennent manifestement un discours contradictoire.
C’est embarrassant, honnêtement, de constater la teneur du débat politique sur cet enjeu.
Mais avant tout, ces effets de toge ne rendent pas justice aux efforts de l’ensemble d’entre nous qui avons travaillé sans relâche pour rebâtir l’industrie de l’automobile et lui permettre de redevenir le moteur économique qu’il était jadis, et ce, malgré la politique commerciale ou l’idéologie économique nuisible des Conservateurs.
Il y a évidemment de graves problèmes au Canada avec les programmes de travailleuses et travailleurs migrants qui favorisent l’exploitation. Ces problèmes méritent le même niveau de passion et d’attention politiques que ce qui leur est accordé actuellement.
Si cette situation se résumait simplement à des travailleuses et des travailleurs étrangers venant voler des emplois dans le secteur canadien de l’automobile, je peux vous garantir que je serais la première à m’insurger.
Personne n’a plus à perdre dans ce dossier que les travailleuses et travailleurs du secteur canadien de l’automobile.
Cette usine de batteries de NextStar fournira des emplois pour aider les travailleuses et travailleurs déplacés en raison de la transition vers les véhicules électriques, y compris des membres d’Unifor, à se trouver un autre emploi. Il s’agit également du pilier sur lequel reposent les activités futures de montage de véhicules électriques qui seront effectuées par les membres d’Unifor à Windsor et à Brampton.
Sans des mesures de soutien gouvernementales comparables à celles offertes par le gouvernement américain, cette usine aurait été bâtie au sud de la frontière.
C’est aussi simple que cela!
Cependant, dans le contexte actuel, pourquoi les faits devraient-ils être un obstacle à une bonne histoire?