Lettre à directeur parlementaire du budget Objet : Rapport Bilan de l’aide gouvernementale à l’investissement dans les VE au Canada

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Yves Giroux
Directeur parlementaire du budget
99, rue Bank, bureau 900
Ottawa (Ontario)
K1A 0A9
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Objet : Rapport Bilan de l’aide gouvernementale à l’investissement dans les VE au Canada

Monsieur Giroux,

Je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de mes préoccupations concernant le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget, intitulé Bilan de l’aide gouvernementale à l’investissement dans les VE au Canada, publié le 18 juin 2024. Bien que je respecte profondément le rôle du directeur parlementaire du budget qui consiste à éclairer les importants débats sur les politiques publiques au Canada par des analyses économiques pertinentes, opportunes et indépendantes, j’estime que ce dernier rapport ne remplit pas ce mandat.

Le rapport présente un portrait brut et incomplet de l’état des investissements dans la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques au Canada depuis octobre 2020. Les 13 projets annoncés publiquement constituent des investissements sûrs le long des points critiques de la partie intermédiaire et aval de la chaîne de valeur, y compris les principaux programmes d’assemblage de véhicules électriques, la fabrication d’éléments de batterie, et le traitement des matériaux de batteries au Canada. Cette liste ne représente pas toute l’étendue des investissements nouveaux et futurs du secteur privé dans les véhicules électriques et rattachés à ces projets par le biais de nouveaux contrats de matériaux commerciaux, d’investissements de fournisseurs locaux et de retombées économiques directes ou induites. Unifor a cerné au moins 40 investissements manufacturiers dans les véhicules électriques depuis 2020, un chiffre qui reste largement inférieur au nombre total d’investissements dans la chaîne d’approvisionnement, ainsi qu’à l’impact économique bénéfique qu’auront ces investissements. L’auteure de votre rapport reconnaît cette omission, mais n’y attache que peu d’importance, ignorant ainsi une raison fondamentale de l’investissement du gouvernement dans ces points critiques de la chaîne d’approvisionnement au détriment de votre analyse.

Cette approche étroite de la mesure des avantages économiques du cycle de vie des investissements majeurs dans les véhicules électriques et les batteries soulève les mêmes préoccupations que celles que j’ai exprimées dans la lettre que je vous ai adressée à la suite de la publication du rapport d’analyse du seuil de rentabilité des subventions de votre bureau en septembre 2023. Cette étude présumait que les avantages économiques de la fabrication d’éléments de batterie allaient de pair avec l’installation individuelle, sans tenir compte des investissements supplémentaires et proximaux dans la chaîne d’approvisionnement et des retombées. Les deux études témoignent à la fois de l’insouciance envers l’industrie automobile canadienne et de l’incompréhension à son égard. 

Aussi, le rapport donne une image trompeuse du coût public de l’aide gouvernementale. Le tableau 1 du rapport affirme que le soutien du gouvernement dans le cadre de ces 12 projets « totalise » 52,55 milliards de dollars. Cette affirmation est ensuite qualifiée d’« estimation » de l’aide gouvernementale, qui « peut atteindre 52,5 milliards de dollars », citant une étude antérieure du directeur parlementaire du budget lui-même. Le problème : le rapport présente cette estimation comme un coût définitif pour le public par le biais de subventions à la production, de crédits d’impôt et de fonds spéciaux versés par les gouvernements fédéral et provinciaux, alors qu’il ne s’agit, à notre connaissance, que d’un coût potentiel fondé sur des estimations supérieures de production de batteries.

Sur les 52,5 milliards de dollars d’« aide gouvernementale totale », une part de 83 % (43,6 milliards de dollars) est liée à 3 investissements extraordinaires dans la fabrication d’éléments et de modules de batteries au Canada. Ces investissements contribueront à l’incubation d’une chaîne d’approvisionnement en batteries en plein essor et tournée vers l’avenir, en tirant parti de l’avantage stratégique mondial du Canada en matière de proximité des minéraux critiques. Ils favoriseront l’émergence de nouvelles compétences, technologies et possibilités de recherche et développement, et créeront des milliers d’emplois directs au fil du temps. De ces 43,6 milliards de dollars, une somme de 38 milliards de dollars est réservée aux subventions à la production accordées par le gouvernement en réponse à la menace de fuite des investissements vers les États Unis découlant de subventions similaires accordées en vertu de l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation), des sommes qui, d’après ce que nous comprenons, dépendent entièrement des volumes de production réels.

Le marché mondial des véhicules électriques à batterie a considérablement ralenti depuis les rapports de votre bureau de septembre et de novembre 2023, entraînant des retards inquiétants dans la production de nouveaux véhicules électriques et éléments de batterie. Le début de la construction d’installations de batteries promises en Europe et en Amérique du Nord a été retardé indéfiniment. La raison pour laquelle le Bureau du directeur parlementaire du budget n’a pas révisé ses estimations initiales en fonction de l’évolution rapide du marché, ou, du moins, ne l’a pas reconnue dans sa récente étude, est nébuleuse et préoccupante.

En outre, votre bureau a utilisé ce montant très discutable des coûts totaux et l’a mesuré par rapport à la valeur nominale agrégée de l’investissement en capital pour chaque installation, présentant ainsi une proposition faussée au chapitre du rapport qualité-prix. L’une des principales constatations de votre rapport indique que l’aide gouvernementale est supérieure de 14 % aux investissements annoncés, ce qui suppose que 3 usines de batteries atteindront les objectifs supérieurs de production de cellules et de modules avant que les subventions expirent en 2032-2033. Aussi, il est inconcevable de mesurer le « coût » du financement gouvernemental des dépenses d’exploitation par rapport à la valeur des dépenses d’investissement initiales, plutôt que par rapport aux avantages du cycle de vie de chaque installation sur le plan de la production, de la productivité, de la croissance de la chaîne d’approvisionnement, de la création d’emplois et de la génération d’impôts.

Unifor est l’un des principaux acteurs de l’industrie automobile canadienne, représentant quelque 40 000 membres dans la construction de véhicules et de pièces d’automobiles, la distribution, l’ingénierie et le transport, ainsi que des milliers d’autres dans les secteurs de l’entretien, de la réparation et de la maintenance à la grandeur du Canada.

L’industrie automobile joue un rôle essentiel dans l’économie canadienne, en favorisant la productivité et le rendement à l’exportation. Elle emploie directement environ 125 000 travailleuses et travailleurs dans de nombreuses installations et des centaines de milliers d’autres dans la vente de véhicules et les services après-vente. L’industrie automobile est le moteur de nombreuses économies locales au pays. Elle crée des emplois de qualité, bien rémunérés et très productifs, et présente des taux de syndicalisation supérieurs à la moyenne.

Cette industrie vit présentement une profonde transformation, réorganisant les opérations, les chaînes de valeur mondiales et la nature du travail pour des milliers de travailleuses et travailleurs de l’automobile. Les instances de l’industrie automobile du monde entier ont recours à des stratégies industrielles pour s’assurer que les usines d’assemblage existantes disposent de programmes et de technologies de construction de véhicules électriques tournés vers l’avenir et garantir de nouveaux investissements dans une nouvelle chaîne d’approvisionnement mondiale de batteries en plein essor. En l’absence de ces investissements au Canada, des sorties de capitaux et de technologies et la perte d’investissements auxiliaires dans la chaîne d’approvisionnement et d’emplois manufacturiers de qualité sont à prévoir. 

Cette transformation industrielle est d’une importance vitale pour l’économie canadienne. Elle permettra non seulement de sauver et de développer une industrie nationale essentielle et bien établie, mais aussi de démontrer de quelle façon les économies industrielles modernes peuvent se réorienter pour atteindre les objectifs climatiques internationaux et les engagements de carboneutralité. Le secteur automobile canadien est le test ultime de ce projet national, d’une ampleur sans précédent dans l’histoire industrielle moderne de notre pays. L’enjeu est de taille, tant sur le plan politique qu’économique, puisqu’il faut montrer au monde entier, et nous prouver à nous mêmes, qu’un tel projet de transition est possible.

Monsieur Giroux, que vous soyez d’accord ou non, votre équipe et vous devez agir en tenant compte de ces réalités politiques. J’apprécie et je soutiens pleinement le rôle indépendant de votre bureau. Cependant, l’analyse et les conclusions présentées dans le rapport du 18 juin apportent bien peu de substance, voire aucune, au débat sur les mérites de la politique d’investissement dans le secteur automobile ou de la stratégie industrielle. Dans le pire des cas, il présente une image déformée de la stratégie d’investissement du Canada et de ses résultats.

J’espère que vous lirez cette lettre dans l’esprit de dialogue constructif qui l’anime. J’attends votre réponse avec impatience.
Cordialement,

Lana Payne
Présidente nationale d’Unifor


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