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Monsieur Tiff Macklem
Gouverneur de la Banque du Canada
Monsieur Macklem,
Au cours des derniers mois, j’ai fait des commentaires publics sur la politique monétaire puisqu’elle a de graves répercussions sur les travailleuses et travailleurs du Canada et leur famille, ainsi que sur l’économie.
Unifor représente 320 000 membres à la grandeur du Canada dans bon nombre de secteurs économiques et les décisions de la Banque du Canada affectent plusieurs aspects de leurs conditions de travail et de leur vie.
Je vous écris aujourd’hui pour demander à la Banque Canada de suivre l’exemple de la Réserve fédérale américaine en procédant immédiatement à une réduction significative du taux directeur.
Selon diverses mesures, le marché du travail canadien montre de plus en plus de signes de faiblesse. La publication mensuelle d’Unifor intitulée « Observations sur le marché du travail » fournit des données sur l’emploi des jeunes et le travail précaire. Les chiffres montrent que le travail est de plus en plus précaire et que les jeunes travailleuses et travailleurs font face à diverses difficultés lorsqu’il s’agit de trouver un emploi. Nous savons que la dégradation de la situation des jeunes travailleuses et travailleurs est souvent le premier signe d’affaiblissement du marché du travail.
Le nombre de jeunes travailleuses et travailleurs qui n’étaient ni en emploi, ni aux études, ni en formation a grimpé de 18,4 % entre août 2023 et août 2024. Le Canada compte désormais 2,1 millions de jeunes qui ne travaillent pas ou ne sont pas aux études : le taux de chômage chez les jeunes atteints des niveaux jamais vus depuis la fin de la récession de 2008‑2009. Ces chiffres se sont quelque peu améliorés en septembre puisque certains jeunes sont retournés en classe, mais le nombre de jeunes ni en emploi, ni aux études, ni en formation a tout de même augmenté de 8,8 % cette année par rapport à l’année dernière.
Aussi, le travail devient plus précaire. Le taux de sous-emploi a augmenté d’un point de pourcentage entre septembre 2023 et septembre 2024. L’écart entre le salaire horaire des hommes et celui des femmes a augmenté de 7,1 %. Le travail à temps partiel croît plus rapidement que le travail à temps plein et l’incidence du travail à bas salaire a atteint près de 21 %, 1 travailleur sur 5 au Canada étant faiblement rémunéré. Les prestations d’assurance-emploi sont inaccessibles à un nombre croissant de travailleuses et travailleurs sans emploi.
Alors que le marché du travail se détériore, de nombreuses industries canadiennes en subissent également les conséquences. Le secteur forestier canadien est en proie à de sérieuses difficultés. Le secteur canadien de l’aérospatiale a besoin d’un coup de pouce en matière d’emploi et d’investissement, ne serait-ce que pour rattraper les niveaux d’activité antérieurs à la pandémie. Les retards des investissements majeurs dans la chaîne d’approvisionnement de véhicules électriques et le lancement de nouveaux programmes de produits automobiles entraînent des temps d’arrêt prolongés et de l’incertitude pour des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs canadiens de l’automobile qui ont été mis à pied, témoignant d’une reprise remarquablement lente des ventes d’automobiles en Amérique du Nord. Et malgré une demande importante de la part des consommateurs pour la construction de nouveaux logements, les grands projets d’habitation (y compris les projets de condominiums dans les villes en croissance rapide) sont retardés en raison des coûts d’emprunt élevés et de l’incertitude quant à la lenteur des baisses de taux d’intérêt. Ce ralentissement se produit en dépit des milliards de dollars allongés par le gouvernement fédéral pour renforcer le parc de logements abordables du Canada.
La lenteur de la réduction du taux directeur du Canada aggrave chacune de ces crises et ne permet pas aux gouvernements fédéral et provinciaux de prendre les mesures nécessaires pour résoudre chacune d’entre elles.
L’inflation mesurée d’une année à l’autre est revenue à 2 % au mois d’août, après 4 mois consécutifs de baisse constante. En septembre, elle a de nouveau reculé pour s’établir à 1,6 %.
L’inflation devrait rester dans la fourchette cible de la Banque du Canada dans un avenir prévisible. En septembre, vous avez déclaré que le Canada devait « jeter l’ancre » maintenant que l’inflation est de nouveau maîtrisée. Pour ce faire, le taux d’intérêt doit être réduit de 50 points de base dès que possible afin que le taux directeur s’adapte au ralentissement de l’économie canadienne et à la réalité des travailleuses et travailleurs canadiens.
À l’heure actuelle, je suis d’avis que la population canadienne risque de perdre confiance en la Banque du Canada. La recrudescence de l’inflation, la stratégie visant à accroître le chômage et le déversement des pires conséquences des taux élevés sur les épaules des travailleuses et travailleurs en les invitant à maintenir de faibles salaires sont autant de facteurs ayant fragilisé le processus décisionnel en matière de politique monétaire.
À l’échelle macroéconomique, le succès est pour le moins incertain. Je suis convaincue que la Banque du Canada ne souhaiterait pas être la cause d’une récession et pourtant, comme je l’ai mentionné précédemment, bon nombre de signaux économiques sont inquiétants. À l’échelle microéconomique, des impacts négatifs importants et injustifiés ont affligé les travailleuses et travailleurs et leur famille partout au pays. Il est temps d’inverser la tendance.
Je me réjouis de poursuivre cette conversation avec vous en novembre.
Cordialement,
Lana Payne
Présidente nationale d’Unifor