L’industrie automobile canadienne a franchi un cap, et nous ne pourrons jamais revenir en arrière

Main Image
Image
Stations de VE dans un parking au crépuscule
Partager

Lana Payne

Les investissements dans l’industrie automobile canadienne sont en plein essor. Honda s’est récemment engagée à investir 15 milliards de dollars dans les nouveaux composants de véhicules électriques et de batterie, dont une toute première usine de séparateurs à Port Colborne, représentant des investissements de plus de 50 milliards de dollars dans la chaîne d’approvisionnement de l’automobile en un peu plus de 3 ans, une succession impressionnante de réussites industrielles.

Malheureusement, certaines personnes ont du mal à l’accepter.

Par exemple, le chroniqueur du Globe and Mail Andrew Coyne s’est emporté dans les médias sociaux après l’annonce de Honda. Il a laissé entendre qu’il ne valait pas la peine que le gouvernement consacre du temps ou des fonds publics à attirer de nouvelles usines automobiles, des compétences, des technologies et des emplois.

C’est peut-être la misère industrielle, la baisse de la productivité, la montée de la précarité et l’insécurité de la retraite qui caractérisent le Canada depuis des décennies qui ont amené bon nombre de personnes à oublier ce que c’est que de gagner.

Parce que c’est ce que le Canada est en train de faire : gagner.

Pour situer le contexte, il faut revenir 15 ans en arrière, en mars 2009.

Un comité parlementaire fédéral étudiait la « crise » dans le secteur canadien de la construction automobile, une crise marquée par les pertes d’emplois, l’appauvrissement des compétences et une réduction des investissements. À l’époque, bon nombre de personnes se demandaient si le Canada avait encore un avenir dans la construction d’automobiles, de camions et de pièces détachées.

La crise, née de la négligence du gouvernement, s’est développée pendant de nombreuses années. L’effondrement du secteur financier en 2008 et les faillites des constructeurs automobiles GM et Chrysler qui en découlent ont précipité dans le vide une industrie automobile déjà chancelante. En 2010, 50 000 emplois directs dans l’industrie automobile avaient disparu au Canada en l’espace d’une décennie. La crise frisait la catastrophe.

Le gouvernement fédéral conservateur de l’époque, dirigé par Stephen Harper, ne pouvait pas se résoudre à investir des fonds publics pour lancer de nouveaux programmes de construction de véhicules, encore moins construire de nouvelles usines automobiles, et ce, alors qu’une industrie automobile allemande visionnaire commençait déjà à investir dans la production de véhicules électriques.

Ignorant les conseils des experts ainsi que des travailleuses et travailleurs de l’industrie, les conservateurs de Stephen Harper ont choisi une voie différente, semblable à celle que certains critiques économiques de salon répètent aujourd’hui.

Ils ont réduit l’impôt des entreprises, à hauteur de 60 milliards de dollars, entraînant l’une des pires périodes d’austérité en matière d’investissements de l’histoire de l’après-guerre du Canada.

Ils ont proposé des outils de financement des immobilisations que peu de gens ont trouvé utiles (les taux d’intérêt étant déjà faibles).

Ils ont engagé le Canada dans d’autres accords commerciaux néfastes pour l’emploi.

Et ils ont orchestré l’éviscération des conventions collectives du secteur automobile, affaiblissant les contrats et réduisant les futurs salaires de la main-d’œuvre, sous prétexte d’offrir une aide d’urgence à GM et à Chrysler.

Le Fonds d’innovation pour le secteur de l’automobile de 500 millions de dollars sur 10 ans, le joyau de la stratégie d’investissement dans l’automobile de Stephen Harper lancé en 2008, faisait pâle figure comparativement à l’aide gouvernementale offerte par les pays concurrents. L’approche du développement industriel pendant cette période embryonnaire au lendemain de la crise financière a été un échec retentissant.

Il n’est pas surprenant que les investissements des grands constructeurs automobiles nord‑américains au Canada aient chuté au cours de cette période, le Mexique absorbant la majeure partie de la part du Canada.

Alors que certains décriaient les méfaits des « entreprises ultra-subventionnées », notre potentiel industriel, c’est-à-dire notre capacité de construire, de transformer et de perfectionner les produits dont nous avons besoin, s’effondrait rapidement.

Pour les travailleuses et travailleurs de l’automobile, cette période a été marquée par la faiblesse du leadership du gouvernement et son incompétence. Pierre Poilievre était ministre au cabinet à cette époque. Il est difficile de savoir s’il a changé d’avis sur les investissements dans l’automobile et la politique industrielle.

Le gouvernement Harper n’a pas compris comment fonctionnaient les économies industrielles modernes ni le rôle que doivent jouer les gouvernements pour les bâtir et les faire prospérer. Si la pandémie nous a appris une chose, c’est que nous ne pouvons plus jamais tenir pour acquis la main-d’œuvre et les emplois manufacturiers.

Les critiques soulevées dans la foulée des investissements records de Honda, ainsi que d’autres investissements carboneutres innovants au cours des derniers mois, sont préoccupantes. Somme toute, ces investissements générationnels permettront de sauver des dizaines de milliers d’emplois dans l’automobile et d’en créer des dizaines de milliers d’autres, notamment dans les secteurs de la construction, de l’exploitation minière, des services, de la recherche et du développement, ainsi que dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. La réussite de cette approche en matière d’investissements prospectifs dans les technologies de production réduisant les émissions est telle qu’elle devrait inciter d’autres secteurs industriels au Canada à suivre son exemple.

La transition vers les véhicules électriques apporte son lot de difficultés pour les travailleuses et travailleurs, et c’est sur ce virage que le pays doit se concentrer. Le travail qui nous attend sera difficile. Il est facile et peu productif de rester les bras croisés et de critiquer.

Il y a 15 ans, le secteur automobile vivait une crise. Aujourd’hui, les possibilités sont infinies. Nous avons pris un nouveau tournant et nous sommes prouvé à nous-mêmes que le Canada peut, une fois de plus, faire de grandes choses.

Aucun retour en arrière n’est possible.